Tendance. On connaissait le tourisme vert, durable, éthique ou culturel. Voici celui qui vise les usines, les manufactures et les fabriques.

Visite d’une usine géothermique en Islande

On veut comprendre la fabrication d’un Airbus ou d’une montre, assister à la création d’un parfum ou à l’embouteillage de l’eau minérale. C’est un élan qui se manifeste partout. La plupart des grands aéroports autorisent la visite de leurs infrastructures, notamment de catering (traiteur pour les repas servis à bord de avions). A Cuba, un séjour à La Havane ne saurait faire l’impasse sur les manufactures de cigares. Les distilleries écossaises se font une rude concurrence pour attirer les amateurs. En Amérique centrale ou latine, les grands producteurs de fruits tropicaux invitent à découvrir le conditionnement des bananes ou des ananas. La Chine (dans le Hainan) et la Pologne (à Wieliczka) ouvrent les portes de leurs salines, comme à Bex. On peut même assister au montage des grands paquebots à Saint-Nazaire ou Papenbourg (Allemagne). Innombrables sont les ateliers de poteries ou les souffleries de verre (Murano) inscrits dans les guides touristiques.
Rien qu’en France, pas moins de 4 400 entreprises attirent chaque année près de vingt millions de curieux. Ils affluent essentiellement en groupes, durant leurs loisirs ou dans un but professionnel. Leurs motivations : connaître les produits et services qu’ils consomment au quotidien, découvrir le patrimoine économique d’une région, se cultiver.

La distillerie Glenmorangie (Hilands / Ecosse) attire les amateurs de single malt

Motivations
Rencontrés lors de leurs vacances en Algarve, les Dos Santos sont une famille d’origine portugaise installée en Suisse. Ils ont fait escale à la conserverie Alrade, ouverte aux touristes. « Nous avions envie de montrer à nos enfants d’où viennent les boîtes de poisson qu’ils consomment. Si la plupart des grandes fabriques ont disparu, il en existe encore de plus petites, comme ici à Portimaò, qui permettent de suivre tout le processus, plutôt artisanal ». Le fait de voir, de sentir, et de toucher le produit dans son lieu de création permet de réapproprier l’acte de consommation, voire d’humaniser la marque.

Traitement des crevettes au Panama

Alimentaire
C’est le cas dans ces fromageries qui – de Gruyères au Jura – révèlent leurs secrets de fabrication. Au Mini-village de démonstration d’Affoltern, le fromager Ernst Beutler oriente ses visiteurs : « Les Français confondent souvent notre Emmental avec le gruyère. Ils parlent même de gruyère d’Emmental. Pourtant, le gruyère n’a pas de trous ! ». Un vénérable chalet d’alpage restauré à l’ancienne, un laboratoire moderne et un parcours ludique – façon Disney – dévoilent les secrets de la recette (bactéries, températures, maturation, etc.). On y découvre qu’une AOP, ça se mérite.

Démonstration dans l’Emmental

Dans la foulée, la Fromagerie Spielhofer de Saint-Imier a su concilier les impératifs de la production quotidienne de la Tête de Moine avec l’accueil du public. Elle offre une exposition libre et des visites guidées pour les groupes, suivies d’une dégustation, permettant de découvrir le processus de fabrication et la cave d’affinage. A la sortie, on s’attardera sûrement à la boutique, sachant que les achats consécutifs à une visite sont 2,5 fois supérieurs à ceux réalisés au supermarché. La Maison Cailler, à Broc, est devenue l’une des attractions majeures de Romandie. Dans la foulée, l’entreprise Camille Bloch s’est aussi tournée vers le tourisme industriel. A Courtelary, l’usine ambitionne d’accueillir 100 000 visiteurs annuellement. Et il n’y a pas que le chocolat ! Si l’agroalimentaire est le secteur qui attire le plus, tous les domaines de l’économie sont touchés par le phénomène. On investit les centres de tri de déchets ou les ateliers d’artisans.

Conditionnement des ananas et plantation de cacaotiers en Equateur


Les dynamiques du secteur révèlent une croissance spectaculaire. En France, la fréquentation annuelle dépasse les 20 millions de visiteurs, marquant une augmentation de 40% en seulement trois ans. Parallèlement, l’offre de sites ouverts au public a passé de 2 000 entreprises en 2019 à 4 000 aujourd’hui. La qualité de l’expérience est également confirmée, puisque 9 visiteurs sur 10 s’en déclarent satisfaits.

Visite du chantier naval MeyerWerft, à Papenburg (Allemagne)

Savoir-faire et patrimoine
Ce qui distingue le tourisme industriel, c’est à la fois sa mise en valeur des entreprises en activité et sa célébration du patrimoine historique. Les anciennes friches deviennent ainsi de nouvelles destinations culturelles et de loisirs. C’est le cas à Paris, où des lieux emblématiques tels que le Hangar Y ou la Halle Saint Pierre ont transformé d’anciennes infrastructures industrielles en centres d’art, de spectacles, ou en lieux de vie animés. A Bordeaux, l’ancienne base de sous-marins abrite désormais de spectaculaires projections, selon le concept qui – en Europe – a déjà rendu hommage à Van Gogh, Gauguin, Picasso et autre Frida Kahlo.

Merveilleuses projections à Bordeaux

Si la notion de patrimoine a longtemps été restreinte aux objets et bâtiments historiques, il a fallu attendre les années 1980 pour que « l’archéologie industrielle » et sa connotation pédagogique soient scientifiquement reconnues.


Völklingen


Distinctions
A Völklingen (Allemagne), c’est une usine sidérurgique qui fait actuellement figure d’aimant culturel : avec plus de 4 millions de visiteurs depuis son ouverture, il y a un quart de siècle, ce site devenu musée a été classé au patrimoine mondial par l’UNESCO, qui y a vu une impressionnante illustration des réalisations humaines lors des révolutions industrielles du XIXe et du début du XXe siècle. Concrètement, ce complexe expose les différents stades du processus de fabrication de la fonte : machines acheminant et traitant les matériaux bruts, instruments de soufflement et de purification du gaz, etc. Toutes ces infrastructures ont été sauvegardées depuis la fin de la production (1986).

Arc-et-Senans

Plus près de chez nous, la Saline royale d’Arc-et-Senans (Bourgogne) a été réhabilitée pour accueillir des expositions, un hôtel, des jardins thématiques et une riche programmation d’événements. Ce chef-d’œuvre de l’architecture du XVIIIe siècle est aussi classé par l’UNESCO.

Au futur
L’avenir du tourisme industriel est indissociable de l’innovation technologique. Les outils numériques ne sont pas une menace pour l’expérience physique, mais une opportunité pour la transcender et la rendre plus accessible. La réalité virtuelle et la réalité augmentée sont au premier plan de cette transformation. Elles permettent de dépasser les contraintes de distance et de sécurité, proposant des visites virtuelles et immersives d’usines qui peuvent attirer un public plus large,

Fabrique de dentelles industrielles (Nord de l’Allemagne)

L’un des principaux défis sera d’éviter le surtourisme et ses conséquences, notamment la pression sur les infrastructures et la dégradation de l’environnement. La filière doit s’inscrire dans une démarche durable, en encourageant les pratiques responsables.

Photos : pichonvoyageur.ch