Entre sortilèges et maléfices, les traditions de ce territoire imbibé d’Histoire font rêver bien au-delà du tourisme de masse.

« Toutes les forêts de Bretagne, même moins célèbres que celles de Paimpont – appelée à tort Brocéliande – recelaient des mystères, des étangs secrets, et peut-être des enchanteurs. Il suffisait de tomber sur une minuscule clairière, éclairée d’un rayon de soleil fin comme une épée et dardé à travers le feuillage, pour croire à la magie.« 
Françoise Bourdin / La Promesse de l’océan

Eloquence des vieilles pierres

« Chez nous, la culture entre par les pieds, passe par le cœur pour aller nourrir le cerveau droit, siège des émotions et du spirituel. Elle ne vient pas des hautes études « , proclame Armel, pourtant auteur d’une thèse sur les traditions celtiques. Notre guide a bien choisi son décor : une sorte de vaste savane au sol spongieux, tourbeux, tapissé d’étranges végétaux et de fleurs carnivores. Il a bien choisi son moment, aussi : l’heure bleue, qui précède de peu le lever du jour. Un moment magique où les oiseaux – fauvette pitchou et autre compteur d’écus – s’offrent leur quart d’heure de folie.
« Nous voici au Youdig« , chuchote maintenant Armel, en précisant d’emblée que ce trou marécageux des Monts d’Arvée concentre une telle énergie, depuis la nuit des temps, qu’il est légitime d’y situer l’un des berceaux du légendaire breton, écartelé entre le monde des vivants et l’au-delà des Celtes, entre lumière et ténèbres.
Malheur à qui s’aventurera jusqu’aux portes de l’enfer, situées à quelque distance: ceux qui s’y sont risqués n’en sont jamais revenus, engloutis dans les sables mouvants !

Ambiance bretonne

Visa pour l’autre monde

C’est ici que l’on peut rencontrer toutes ces entités qui peuplaient les veillées d’antan : bons et mauvais esprits, gnomes et fantômes dont notre érudit veut à tout prix raviver le souvenir : « Ces histoires transmises oralement ne sont pas faites pour endormir les enfants, mais pour réveiller les parents. Elles évoquent l’invisible et tout ce merveilleux que le rationnel et la prétendue modernité ont dévalorisés ».

Le redoutable Ankou

Derrière ces traditions orales, se profilait aussi un véritable culte de l’âme et de la mort, illustré par d’innombrables saints – le martyrologe breton en compterait pas moins de 7’777 – et le sinistre Ankou, dont la lugubre représentation fait encore frémir dans l’enclos paroissial de La Roche Maurice. « Gardez-vous bien de le fixer dans les yeux ! », met en garde Armel, qui n’ignore rien des maléfices du charretier de la mort, identifiable à sa flèche ou à sa faux au tranchant inversé. Gravée dans la pierre, une inscription cristallise la menace : « Je vous tue tous ! »

Fantasmes pétrifiés

Jouant avec d’étranges lumières, les cailloux bretons s’ingénient à nous faire croire à leur vie antérieure. A marée basse, les rochers de Perros-Guirec n’épousent-ils pas la forme d’énormes cétacés échoués sur la plage ? Et chacun de repérer le bec d’un rapace ou le crâne d’un géant parmi les blocs roses de la côte.
Mais voici la forêt de Paimpont, autre paysage enchanté : ici, les strates de schiste rouge contrastent avec le vert tendre des fougères, les étangs bleutés semblent taillés sur mesure pour constituer le miroir des elfes. Cette forêt – depuis le XIIe siècle – abrite toutes les légendes du Roi Arthur, avec ses stars incontournables: Viviane, Lancelot du Lac, les Chevaliers de la Table Ronde, Excalibur.

Qui se cache dans cette souche ?

Au Val sans retour, la fée Morgane punissait les amants infidèles en les piégeant hors du temps pour ne les restituer au monde des mortels que vieillis et enlaidis par ses sortilèges. Souvent cruels, les mauvais sorts bretons : ne dit-on pas qu’une jeune mariée aurait été enterrée vive au donjon de Trécesson, le matin-même de ses noces ?

A Perros-Guirec, des rochers comme des baleines échouées…

Photos : pichonvoyageur.ch