Transports, hôtellerie, musées, spectacles…aucun domaine ne semble échapper aux tyrannies de l’anticipation.

« En fait, ce sont souvent les événements qui décident pour nous. D’où la nécessité d’anticiper. »
Pierre Lamaitre

« C’est un phénomène que l’on observe de plus en plus pour les destinations ou les lieux très fréquentés : sans réservation, point de salut. Et parfois il faut s’y prendre longtemps à l’avance », confirme Christine Ruph, Directrice de la succursale genevoise de Railtour Suisse.
« Impensable de se présenter spontanément le soir au restaurant de son choix à Paris, Florence ou ailleurs. Sans parler des musées et sites incontournables : voici bien longtemps que j’essaie de retourner à Padoue à la chapelle des Scrovegni ou de voir l’Atelier des Lumières à Paris, en vain. Il faudrait organiser le voyage en fonction des dates d’entrée disponibles. Et quand il n’y a pas de réservation, il faut s’armer de patience, et c’est peu dire : je me souviens d’un record de 7 heures d’attente pour visiter le Palais de l’Elysée lors des Journées du patrimoine. »
Même constat pour Valbone Hoxha, Directrice de l’Atelier du Voyage, à Lausanne :
« J’ai même constaté qu’il devient illusoire d’improviser la visite d’une distillerie écossaise. Récemment, à Zurich, sur 10 restaurants repérés en balade, seuls 8 avaient une disponibilité de dernière minute ».

Le rail et les ailes

Pareil pour certains trains, victimes de leur succès. Si le Glacier Express constitue une expérience à vivre au moins une fois pour les Suisses, elle attire aussi massivement la clientèle étrangère. Résultat : les convois affichent complet quasiment dès l’ouverture de la réservation.
Idem dans l’aviation, en effervescence post-Covid : la surréservation (surbooking) affecte de plus en plus de passagers laissés pour compte à l’aéroport. Pour s’en prémunir, les plus déterminés n’hésitent pas à réserver un siège avec supplément. Ils y voient une meilleure garantie d’embarquer.

Les risques du web

De nombreuses personnes en recherche de tarifs avantageux se sont mises à réserver leurs vacances via Internet. Pour Bruno Walker, Directeur commercial de Jerrycan-Voyages, à Genève : « Effectuer en ligne des réservations de vols secs, de chambres hôtels ou d’une location de voiture sont des démarches à moindre risques et certainement financièrement intéressantes. Cependant, se lancer dans l’élaboration d’un séjour long-courrier, avec multiples réservations d’hôtels, voitures chauffeur et guides privés, n’est de loin pas une méthode fiable. »
Il semble par ailleurs qu’une partie de la clientèle ait du mal à distinguer les prestations d’une agence de voyage – ou d’un voyagiste – de celles d’un office de tourisme. En utilisant les services d’un voyagiste, l’ensemble de l’itinéraire est contrôlé par la même société et – sur place – par le prestataire choisi. En cas de grève et autres problèmes, le client à l’assurance d’être assisté selon la loi fédérale sur les voyages à forfait. Privilégier le contact humain à l’anonymat du web protège donc de possibles déconvenues.

Un choix générationnel ?

« Les jeunes sont très friands d’Internet. Mais depuis la pandémie, nous avons remarqué qu’ils se tournent à nouveau vers les agences de voyages », observe Michael Gloor, le CEO de Travel Group Luxembourg (TGL). Cela pourrait aussi s’expliquer par un manque de confiance partiel dans les offres en ligne. En effet, les plateformes sont souvent confrontées à des évaluations falsifiées. Une étude de la Commission européenne datant de 2023 montre que 69% des consommateurs de l’UE ont déjà lu des avis qu’ils n’ont pas jugés sérieux ou authentiques.
La tendance à attendre le dernier moment pour bénéficier de réductions (last minute) semble en perte de vitesse. Certains voyageurs s’étaient habitués aux rabais peu avant le départ, mais ils ont remarqué l’année dernière qu’il ne valait plus la peine d’attendre de telles offres. Par conséquent, les vacanciers anticipent à nouveau.

Astuces et arnaques en ligne

Sur Internet, les sites de réservation peuvent gonfler leurs tarifs en fonction de votre géolocalisation ou de la répétition d’une recherche identique émanent de la même adresse électronique. Astuce : choisir un serveur différent pour comparer les prix. Le VPN (système utilisant le chiffrement pour protéger votre connexion) peut aussi aider à déjouer ce pistage.
Pourtant bien connues, les fausses annonces de location continuent hélas d’attirer les vacanciers vers des hébergements fictifs ou ne correspondant pas à la photo.
Luc, cinquantenaire attaché à la communication de l’Etat de Vaud, se souvient de sa réservation d’un prétendu séduisant apparemment Airbnb, à Paris, il y a deux ans : « …en fait, un véritable trou à rats. Ensuite, la proprio a essayé de négocier avec moi le retrait de ma critique dans les commentaires de la plateforme. »

Improviser ?

Cathy et Jacques, de Vulliens (VD) forment un couple de jeunes retraités bourlingueurs. A moto, ils ont parcouru – entre autres – l’Australie, les USA, l’Afrique. Sur la préparation de leurs escapades, leurs opinions divergent. Cathy estime qu’il vaut mieux réserver un point de chute lorsqu’on change de continent, Jacques pas : « Au départ d’un vol long-courrier, le gel nous a bloqués à Paris. Atterrissage avec 24 heures de retard. Si nous avions réservé une nuit d’hôtel à l’autre bout, elle eût été perdue ».
Cathy concède que l’hôtel qu’elle avait tenu à réserver à Perth devait être ouvert 24/24. En fait, ils l’ont trouvé fermé à leur arrivée tardive, et la procédure d’appel à la rescousse était compliquée. Jacques conclut en rappelant un bon souvenir dû à l’improvisation : “En Toscane, on a repéré de nuit un superbe palazzo, où seule une suite luxueuse était encore disponible. Vu l’heure tardive, ils nous l’ont soldée au prix d’une chambre.

Réclamations

Sur le départ après 10 ans de médiation à la FSV (Fédération Suisse du Voyage), Franco Muff se veut pourtant rassurant. L’ombudsman sortant jette un regard rétrospectif sur une période extrêmement satisfaisante, au cours de laquelle son bureau a pu offrir une aide à de nombreux consommateurs. Davantage que les problèmes liés aux réservations, il note avec humour que – pour les voyageurs Suisses – les principales plaintes demeurent liées à la propreté, pas seulement à l’étranger, mais aussi chez nous. Un sujet qualifié de…récurrent !